Marc, te voilà parti !
Déjà, depuis plusieurs mois on te sentait affaibli.
Je parlerai au nom de l’association Patrimoine. J’aurais souhaité que ce soit Gilbert qui prenne la parole, vous vous connaissiez depuis plus longtemps, mais Gilbert est retenu par un autre décès, celui de sa tante.
Marc, tu étais un peu le griot du village, le dépositaire de l’histoire et de la tradition orale de Saint-Remèze.
Je te vois encore assis à « la banche » du Porgy, ton fief, entouré des tiens et de tes amis. Des moments d’échange autour d’histoires du village, dans la bonne humeur. On venait te consulter pour avoir des précisions sur tel ou tel événement passé, et tout de suite tu trouvais les réponses dans ta tête. Tu étais « la mémoire du village », à se demander comment tu faisais pour garder tous ses souvenirs, si tu n’avais pas un cahier secret où tu avais noté, emmagasiné tous ces souvenirs, tous ces moments du passé…
Tu as adhéré tout de suite à notre association Patrimoine, il y a plus de 15 ans. Plusieurs articles parus dans notre Feuille de vigne s’appuient sur tes connaissances que tu aimais partager. Que ce soit sur les Poilus de Saint-Remèze, les noms de rues, l’épidémie du choléra, l’église, ton église, le château, les écoles, l’enfilage des perles, les broderies, les anciennes terrasses, le Syndicat agricole, les fêtes du village, la vogue… sans oublier tes savoirs sur les coutumes d’antan, les aléas de la vie politique et sociale du village.
Dernièrement, tu avais écrit Quand j’étais un J2 (jeune) : l’occupation à travers les yeux d’un enfant.
(Un grand merci à Emmanuelle qui nous permet de télécharger le livre de son père en cliquant ici)
L’association te doit aussi une aide précieuse pour les photos et la documentation.
Tu ne ratais jamais nos conférences et tu avais toujours des remarques pertinentes à faire, des précisions à donner.
Tu as contribué à notre Cahier sur Saint-Remèze paru il y a deux ans pour l’article sur Saint-Remèze en 1950, avec Marcel Reynaud, Léon Brunel, Max Tailland, Pierre Maucuer, Loulou Boulle, Pierre Dumas, Jean Reynaud, Danielle Marie et Gisèle Charmasson. Toutes et tous des témoins de l’époque, pour la plupart agriculteurs, les derniers représentants d’une culture et d’une société rurale, attachée à son terroir, une société en voie de disparition, face aux nouveaux modes de vie.
Plus récemment, Marc, tu nous as guidés sur l’ancienne station radar allemande de la Plaine d’Aurèle pour nous conter tes souvenirs d’enfant accompagnant ton père pour les corvées d’eau lors de la construction du camp en 1943 -44. Tu t’es volontiers prêté au jeu des questions / réponses, des séquences filmées qu’il fallait reprendre. Tu étais dans ton rôle et tu semblais y tenir. Je te vois encore monter avec ta béquille sur le mur ruiné d’une base radar. Tu es l’un des personnages clés du film Vol noir, avec Fernande, Lolo, Jean.
Nous étions unis par une même soif de la vérité historique. Têtus tous les deux, nous nous sommes parfois heurtés sur des points de détail, sur des dates, en particulier sur les sombres évènements de 1944, mais souvent tu avais raison. Tu rejoins cette série de saint-reméziens attachés à l’Histoire : Martin Charmasson, Georges Reynaud, Maurice Boulle.
En tant qu’africaniste, ancien professeur et chercheur au Mali, je ne peux m’empêcher de penser à cette magnifique phrase d’Amadou Hampaté Bâ, écrivain et ethnologue, que j’ai connu à Bamako :
« En Afrique, quand un vieillard traditionaliste meurt, c’est une bibliothèque inexploitée qui brûle. » Que l’on ne se méprenne pas sur le sens du mot « traditionaliste », ici il est au sens historique du mot : c’est le passeur d’histoire, s’appuyant sur la tradition orale, ce qu’il a connu, entendu, préservé.
C’est valable pour toi, Marc. Tu vas nous manquer…
L’association Patrimoine t’est vraiment reconnaissante pour tout ce que tu lui as apporté, à nous de conserver cette mémoire, de la transmettre avant que le temps et l’oubli ne la fassent disparaître.
Merci encore Marc, au revoir, et que la terre te soit douce et légère !
Toute notre solidarité à ta famille, à ton frère, Yves, ta fille, Emmanuelle, Godefroy, Pascal, qu’on ne peut oublier dans ces moments difficiles. Courage à vous.
Michel Raimbault – 20/03/2024